Pompe à insuline et insulinothérapie fonctionnelle : comment bien la mettre en place ?

Développée depuis les années 80, l’insulinothérapie fonctionnelle propose une tout autre approche, en permettant d’adapter le traitement d’insuline à son mode de vie : en fonction de son alimentation, de son activité physique, les patients calculent et s’injectent la dose d’insuline qui leur sera nécessaire. Si cette thérapie offre une plus grande autonomie du patient, qui devient responsable de la gestion de sa maladie, elle est également reconnue pour permettre d’éviter les hyperglycémies et hypoglycémies.

Quels en sont les principes, les bénéfices et les contraintes de l’insulinothérapie fonctionnelle ? Comment faire pour s’y mettre ? Quelles sont les spécificités pour les utilisateurs d’une pompe à insuline ? Rencontre avec le Dr. Claude Sachon, diabétologue à la Pitié Salpêtrière.

Comment présentez-vous l’insulinothérapie fonctionnelle à vos patients ?

L’insulinothérapie fonctionnelle est, selon moi, le traitement du diabète le plus physiologique possible. C’est un principe très important. Auparavant, quand un patient s’injectait de l’insuline, c’était toujours un peu approximatif. On ne savait pas exactement si la dose était la bonne, et il fallait rectifier le tir, tous les deux ou trois jours, en augmentant ou pas les doses. On parlait d’insuline rapide ou retard, alors que désormais, nous allons plutôt insister sur les propriétés de l’insuline : à quoi sert-elle ? Qu’attend-t-on d’elle ?

Premièrement, l’insuline sert à vivre, elle est vitale. J’insiste sur le terme « vivre », car l’insuline fournit l’énergie nécessaire pour assurer les fonctions vitales essentielles à la vie, telles que la régulation de la température corporelle, la respiration, les battements du cœur… Souvent, les patients assimilent l’insuline au sucre, à notre besoin d’énergie pour bouger, avoir une activité physique. Or le besoin d’énergie et donc d’insuline est constant, de jour comme de nuit, même lorsque nous ne sommes pas en mouvement ou en train de pratiquer de l’activité physique. L’insuline nous sert ensuite à manger, car à chaque fois que nous mangeons, il faut accompagner notre prise de repas avec de l’insuline. Et enfin, l’insuline nous sert à « soigner » la glycémie. En effet, la glycémie ne se « corrige » pas, elle se soigne.

C’est pour ces trois fonctions – vivre, manger et soigner – que l’on va mettre en place l’insulinothérapie fonctionnelle, avec le but d’imiter au mieux la sécrétion naturelle de l’insuline.

Quel est selon vous le bénéfice principal de l’insulinothérapie fonctionnelle ?

Quand les doses sont adaptées, il y a moins de risque d’hypoglycémie ou d’hyperglycémie. Globalement, cela permet donc de mieux équilibrer le diabète.

Tous les patients souffrant de diabète peuvent-ils en bénéficier ?

Oui, il n’y a pas de sélection, l’insulinothérapie fonctionnelle s’adresse selon moi à tous les patients diabétiques de type 1. Concernant les personnes diabétiques de type 2, certains pensent qu’elle est adaptée. Ce n’est pas mon cas. Car pour le calcul des doses d’insuline prandiale (pour manger), on va calculer la glycémie et agir en fonction, alors que dans le diabète de type 2, la contrainte est plus souvent de lutter contre l’apport lipidique. Le calcul des doses est donc selon moi très compliqué, même si ce n’est pas forcément risqué.

A quel moment de son diabète peut-on se mettre à l’insulinothérapie fonctionnelle ?

On peut le faire le plus vite possible. Pas au début non plus, car à la découverte du diabète, il y a beaucoup de choses à apprendre, et les besoins en insuline varient beaucoup. Donc, il faut attendre un peu, mais pas trop longtemps. La formation diététique peut avoir lieu tout de suite, car elle est de toute façon importante dès le départ.

L’insulinothérapie est-elle spécifique, quand on a une pompe à insuline ?

La spécificité est liée à l’insuline. Quand on a une pompe, on utilise uniquement de l’insuline rapide, qui a une variabilité de résorption de 10% contre 20% pour l’insuline retard. D’un jour sur l’autre, la dose d’insuline réellement assimilée est variable, mais cette variation est moins importante lorsque l’on a une pompe avec de l’insuline rapide. L’assimilation de l’insuline par le corps va être plus régulière et donc plus efficace. De plus, sous traitement par multi-injections avec un stylo, l’insuline est censée durer 24 heures. Mais la plus forte variabilité de résorption fait que cette durée n’est pas forcément très fiable, au contraire de la pompe à insuline qui va envoyer des microdoses d’insuline rapide à intervalles réguliers.

C’est la même chose pour les insulines prandiales, pour manger : en traitement conventionnel, j’injecte une dose d’un coup, alors qu’en programmant la pompe, je peux étaler dans le temps les bolus, en fonction de la réalité de ce que je mange, notamment si je fais un long repas. Dans ce cas, je vais, par exemple, pouvoir accompagner le repas et faire une injection pour l’entrée, le plat et le dessert.

Donc la spécificité de la pompe, c’est qu’elle peut apporter plus de confort au patient. Les effets sont donc plus largement bénéfiques, mais il faut également prendre en compte les contraintes de la pompe en elle-même, qui n’ont rien à voir avec l’insulinothérapie fonctionnelle : la gêne qu’elle peut représenter, la sensation de ne pas être libre de mon corps, le cathéter qui pendouille, etc. Il y a aussi la question du réservoir parfois un peu limité, et toutes les autres contraintes, liées par exemple au fait que si on ne peut plus recharger la pompe, en cas de coupure d’électricité par exemple, on peut vite être très angoissé. Bref, toutes les contraintes liées au matériel sont fondamentales. C’est un outil génial, notamment pour l’insulinothérapie fonctionnelle. Mais cela peut devenir compliqué quand il y a des aléas.

Et comment se passe le processus, lorsque l’on a décidé de passer à l’insulinothérapie fonctionnelle ?

Il faut d’abord suivre une formation dans un centre spécialisé, qui dure normalement trois jours. Je préfère quand c’est une hospitalisation classique, car c’est important de pouvoir faire des contrôles glycémiques nocturnes fiables, mais cela se fait souvent en hospitalisation de jour, notamment pour des contraintes personnelles des patients.

Cette formation est menée par différents acteurs : médecins, infirmiers et diététiciens. C’est un travail d’équipe, et il est important que chacun soit compétent dans les disciplines des autres. On va notamment observer, avec une surveillance toutes les 2 ou 3 heures, ce qu’il se passe par rapport aux besoins d’insuline basale, pour programmer au mieux les doses en fonction de chaque patient. Pour les insulines prandiales, nous formons les patients pour leur apprendre à compter les glucides et transformer cela en dose d’insuline, avec un coefficient qui est également propre à chaque patient, et qui est différent au petit-déjeuner, au déjeuner et au dîner. Il faut donc pour cela travailler sur plusieurs repas pour pouvoir se faire une idée exacte et la plus précise possible des doses à injecter en fonction des glucides ingérés. L’étude de la situation du patient est donc fondamentale, et nous allons également prendre en compte son tour de taille, ses activités physiques, etc. Ces trois jours sont très intenses, très spécifiques et ça ne peut pas se faire par téléphone !

Et par la suite ?


Après les trois jours, la personne va ensuite revenir à l’hôpital pour rendre compte des résultats, et le traitement sera modulé ou pas. Nous les revoyons généralement au bout d’un ou trois mois, cela dépend de comment cela se passe, s’il rencontre des difficultés ou pas.

Il y a plusieurs formules d’accompagnement. Nous nous adaptons aux patients pour proposer la meilleure formule, celle qui lui convient le mieux. Certains sont autonomes, d’autres ont plus de mal à compter. Pour ceux-là, nous allons essayer de calibrer ses repas et lui proposer des menus qu’il va suivre et en fonction desquels nous allons calibrer la bonne dose d’insuline.

Quelle est la principale difficulté rencontrée par celles et ceux qui s’y mettent ?


Le fait de compter les glucides. Pour certains, il faut entre 3 et 6 mois pour y arriver. Il faut un entraînement quotidien, car ce n’est pas automatique, ni magique. Il faut insister sur le fait que c’est contraignant au quotidien, et qu’il peut y avoir une lassitude. Oui, l’insulinothérapie fonctionnelle apporte des bénéfices, notamment de réduire les hypoglycémies nocturnes, mais les contraintes peuvent être lourdes. Il faut tout compter, il faut avoir une balance et on perd en spontanéité. Donc pour un patient qui gère bien son diabète, qui ne souffre pas d’hypoglycémie, il faut se poser la question de l’utilité de l’insulinothérapie fonctionnelle, par rapport à ses contraintes qui sont bien réelles.

Que pensez-vous des applications mobiles, pour évaluer le poids des aliments ?

Il faut quand même un peu s’en méfier. C’est extrêmement difficile de voir à la vue d’une assiette si c’est une petite, une moyenne ou une grande portion. J’avais fait un atelier où l’on faisait un concours entre nous pour deviner le poids des aliments. Il y avait beaucoup d’erreurs. Et même si à force, on arrive à avoir une certaine habitude, on peut rapidement se tromper de 10 grammes, en plus ou en moins. Il y a aussi des erreurs fréquentes, qui sont, par exemple, de peser le riz cru au lieu du riz cuit…

A part cette contrainte, quels sont les éventuels effets indésirables ?

L’inconvénient majeur, c’est que beaucoup prennent du poids. Il n’y a plus, ou beaucoup moins de contraintes alimentaires. Alors on peut manger plus souvent, grignoter entre les repas et forcément, c’est totalement humain. C’est ce qui a été reproché à l’insulinothérapie fonctionnelle à ses débuts, et c’est d’ailleurs vérifié. Il faut donc, comme tout le monde, apprendre à faire attention !

 

En quoi la pompe permet de faciliter la mise en place de l’insulinothérapie fonctionnelle ?

Ce sera plus pratique. J’ai moins d’insuline sur moi, il suffit d’appuyer sur un bouton, je peux manger ce que je veux, quand je veux. C’est aussi plus discret, quand on est au restaurant ou à la terrasse d’un café… Mais après, les principes et l’éducation sont les mêmes. D’ailleurs, dans mes groupes, je mélange des personnes sous pompe avec celles qui utilisent un stylo d’injection.

Et à l’inverse, est-ce que le fait d’avoir une pompe induit des contraintes spécifiques ?

Je dirais non. Comme je disais, ce sont les contraintes liées à la pompe en soi, liées au matériel : il faut que le réservoir soit rempli, que le cathéter ne soit pas bouché, être sûr que la pompe fonctionne bien. Les bugs, ça arrive, donc il faut rester vigilant, en traitement conventionnel ou par insulinothérapie fonctionnelle.

Et si l’on est en boucle fermée hybride, y a-t-il a des spécificités ?

Le gros avantage, c’est qu’on a en permanence la glycémie sous les yeux. Le patient sait toujours où il en est. Ensuite, le fait que la pompe marche de façon relativement autonome, c’est bien pour l’insulinothérapie fonctionnelle. Mais il peut cependant y avoir une certaine inertie, liée au fait que le capteur mesure le glucose interstitiel. Il y a un petit décalage entre la glycémie réelle (glucose sanguin) et celle qui est calculée, qui fait que la pompe peut être en retard ou en avance. Quand elle fait des correctifs, on peut donc parfois se retrouver en hypoglycémie, et l’alarme peut sonner.

Ensuite, si on se trompe dans les glucides, la pompe ne va pas injecter la bonne dose, qu’elle va certes corriger, mais avec une certaine lenteur. Le patient peut alors perdre patience et vouloir faire un supplément d’injection, et ce n’est pas forcément très précis…. On peut du coup quelque peu s’éloigner du principe de l’insulinothérapie fonctionnelle, qui est d’imiter au mieux la sécrétion naturelle de l’insuline… Ce sont les aléas de la boucle fermée hybride, il faut apprendre à s’en servir et travailler avec elle. C’est donc un travail en commun. Il faut savoir prendre la main au bon moment, et cela prend parfois de 6 à 9 mois.

Vous souhaitez en savoir plus sur l’insulinothérapie fonctionnelle et la boucle fermée hybride ? Découvrez le témoignage de Joseph