La relation entre équilibre du diabète et qualité du sommeil est bien établie. Qu’il soit perturbé par des événements métaboliques (hyper ou hypoglycémie), la gestion du diabète pendant la nuit ou l’anxiété, le sommeil et ses troubles impactent à la fois l’équilibre glycémique, la qualité du repos mais aussi celle de la vie quotidienne des personnes vivant avec un diabète.
Il est ainsi essentiel de mettre en place des solutions afin de préserver une bonne qualité de sommeil, car cela aura en retour des effets bénéfiques sur l’équilibre global de la maladie. Parmi elles, la mise en place d’une boucle fermée hybride semble faire ses preuves, tant sur les aspects métaboliques que psychologiques liés au diabète. Rencontre avec le Professeur Sandrine Lablanche, Chef de service, Endocrinologie Diabétologie Nutrition au Centre Hospitalier Universitaire de Grenoble.
Quelle est la relation entre diabète et troubles du sommeil ?
Les troubles sont très bien décrits. La qualité du sommeil des patients peut être altérée par divers événements métaboliques pouvant survenir pendant la nuit. En effet, l’hyperglycémie peut soit réveiller le patient, soit nécessiter un bolus de correction. La polyurie induite par l’hyperglycémie, quant à elle, peut obliger le patient à se lever plusieurs fois dans la nuit pour aller aux toilettes. En cas d’hypoglycémie, la gestion de celle-ci va également perturber le sommeil par des alarmes ou par les symptômes induits par l’hypoglycémie et nécessiter un resucrage, avec parfois un temps de vigilance pour s’assurer que l’événement a été bien corrigé. Tout cela peut causer des décharges d’adrénaline qui vont avoir un effet stimulant et rendre le ré-endormissement difficile. Tous ces événements vont impacter la qualité du sommeil, et par conséquent de la journée des patients et leur capacité à tenir le rythme au quotidien.
A contrario, est-ce qu’une bonne qualité de sommeil va contribuer à l’équilibre du diabète ?
Tout à fait. Avoir un sommeil de qualité va jouer, en premier lieu, sur la qualité de vie et le bien-être des patients, indépendamment des événements métaboliques propres au diabète. Et cela, c’est déjà très important. Ensuite, les études montrent que la qualité du sommeil, et notamment la variabilité de l’heure du coucher, va avoir un impact sur la qualité du contrôle glycémique. Plus l’heure du coucher est variable, plus le diabète est déséquilibré, avec une différence pouvant aller jusqu’à 10 % du temps passé dans la cible (ndr : pourcentage de temps passé avec un taux de glucose compris dans une fourchette glycémique cible, ni trop haute, ni trop basse. L’objectif du temps passé dans la cible est toutefois défini de manière individualisée, en fonction de la situation de la personne).
Les patients diabétiques peuvent également rencontrer des difficultés au moment du coucher, surtout en l’absence de boucle fermée hybride. Après le dîner, si la glycémie est basse, cela nécessite, par exemple, un resucrage préventif, et certains patients vont vouloir attendre un peu avant d’aller se coucher ou de s’endormir pour être sûr que la glycémie est bien remontée, ce qui peut donc contribuer à décaler l’heure du coucher. De même, en cas d’hyperglycémie, un bolus de correction peut être nécessaire, entraînant également une attente avant d’entamer la nuit. La gestion de la glycémie en elle-même peut donc avoir un impact sur la variabilité de l’heure du coucher, et on sait que cela peut être néfaste pour l’équilibre glycémique.
La boucle fermée hybride peut être un moyen d’améliorer le sommeil des patients. Comment fonctionne-t-elle concrètement ?
Un dispositif de boucle fermée hybride, c’est une pompe et un capteur qui mesure la glycémie en continu. Le capteur va envoyer les données glycémiques à un algorithme, un logiciel d’intelligence artificielle, qui est installé soit dans la pompe, soit dans son smartphone ou un moniteur externe, qui va lire en permanence les glycémies et prédire l’évolution glycémique. En fonction, il ajuste automatiquement l’administration insuline, avec un seul objectif, maintenir la glycémie du patient dans la cible.
Dès l’ascension de la glycémie et avant qu’elle ne sorte de la cible, l’algorithme va augmenter progressivement l’administration de l’insuline de façon à éviter hyperglycémie. Si malgré ces premiers ajustements, la glycémie sort de la cible, l’algorithme continue à travailler et faire des bolus de correction de façon à ramener la glycémie dans la cible le plus tôt possible. A l’inverse, si l’algorithme prédit une hypoglycémie dans les minutes qui arrivent, il va progressivement diminuer l’administration d’insuline pour l’éviter.
Il faut toutefois noter que c’est un dispositif semi-automatique. Le patient a encore des choses à faire, notamment l’annonce de ses repas et l’annonce de l’activité physique. Mais en dehors de ces temps, c’est l’algorithme qui va être prendre en charge l’administration de l’insuline.
Pour qui est recommandée la boucle fermée ?
Initialement, il y avait des critères, notamment d’ancienneté du diabète, un certain temps sous pompe à insuline, la capacité à compter les glucides. Mais aujourd’hui, on a tendance à dire que la boucle fermée hybride peut être recommandée pour tout patient souffrant de diabète de type 1 qui en perçoit le besoin. La seule limite à mettre, c’est que le patient soit engagé dans le parcours de soins, c’est-à-dire qu’il accepte d’être suivi, de venir aux différents rendez-vous programmés lors de la mise sous boucle fermée. Mais globalement, elles visent aujourd’hui un public extrêmement large.
Et concrètement, en quoi la boucle fermée hybride peut-elle améliorer la qualité du sommeil ?
Elle apporte la nuit un bénéfice considérable sur la qualité de contrôle glycémique, à la fois sur la gestion des risques d’hyperglycémies ou d’hypoglycémies.
L’algorithme fonctionne la nuit comme pendant la journée : il surveille la glycémie et ajuste l’insulinothérapie en fonction de son évolution, mais de manière beaucoup plus performante que pendant la journée, car quand on dort, il n’y a pas de repas ou d’activité physique à gérer. On a une qualité de contrôle glycémique qui est excellente. Les patients nous le disent : « quelle que soit la valeur de la glycémie au coucher, tous les matins, je me réveille à la même glycémie, qui est bonne et dans l’objectif visé ! ».
Ce qui est apprécié par les patients, c’est notamment la protection contre le risque d’hypoglycémie nocturne, particulièrement durant la première partie de la nuit. C’est quelque chose qui est souvent très anxiogène, car ils ont toujours l’inquiétude de ne pas la ressentir et qu’elle puisse durer longtemps. Et comme la quasi-totalité des algorithmes sont très conservateurs sur les hypoglycémies, ils sont très performants pour les protéger. Le temps passé en hypoglycémie est donc réduit grâce à la boucle fermée hybride et notamment sur la nuit, où il est quasiment nul.
Les patients sont donc rassurés, mais n’est-ce pas également le cas pour les aidants et les parents ?
Tout à fait, les études montrent que cela change la vie des familles. Les parents d’enfants diabétiques sont souvent en hypervigilance la nuit. Ils vont avoir tendance à se lever plusieurs fois par nuit pour vérifier que leur enfant est dans la cible, vérifier qu’il n’est pas en train de faire une hypoglycémie, etc. Avec la boucle fermée, ils peuvent compter sur l’algorithme pour surveiller la glycémie de leur enfant et voient ainsi leur qualité de sommeil s’améliorer considérablement.
De même pour les personnes handicapées ou âgées qui sont en institution. Les équipes soignantes rapportent que la boucle fermée leur apporte une grande sérénité, en garantissant un contrôle glycémique de qualité et une sécurité constante pour les résidents, ce qui est très apprécié, tant par les professionnels de santé, que par les patients et leurs familles.
Est-ce qu’il y a des différences entre les différents systèmes de pompe ?
Effectivement, chaque algorithme a son fonctionnement particulier et ne se paramètre pas forcément de la même façon. Cependant, aucune étude n’a démontré de différence significative sur la qualité du contrôle glycémique nocturne entre les différents dispositifs. Un algorithme, en particulier, présente une spécificité : le système Control IQ. Ce système dispose d’un mode sommeil avec deux objectifs principaux.
Le premier objectif est d’abaisser la cible glycémique durant la nuit, pour se rapprocher le plus possible de la normalité. La nuit représente un tiers de la journée, alors si l’on peut gagner sur la moyenne glycémique de la journée et se placer le plus longtemps possible au plus près de la cible, c’est toujours bon à prendre en termes d’impact sur les complications.
Le deuxième objectif de ce mode est d’empêcher l’algorithme de délivrer des bolus d’insuline, ce qui réduit le risque d’hypoglycémie. C’est une façon d’améliorer encore la gestion du diabète sans exposer les patients à un risque d’hypoglycémie trop important.
Est-ce que la boucle fermée hybride peut avoir des inconvénients, notamment la présence de la tubulure qui relie le cathéter à la pompe ?
C’est en effet une préoccupation pour les patients, notamment ceux qui utilisaient la pompe patch qui est très confortable, de passer à une boucle fermée avec tubulure. Il y a souvent des réticences à ce changement. Cependant, une fois que les patients expérimentent les bénéfices de l’algorithme, les inconvénients de la tubulure sont contrebalancés par les avantages apportés sur la qualité du sommeil et la qualité du contrôle glycémique global.
Dans mon expérience, nous n’avons rencontré aucun patient pour qui les inconvénients liés à la tubulure l’emportaient sur les bénéfices. Il est important d’aborder ces aspects avec les patients, de leur faire essayer le système pour la nuit, et de voir si cela leur convient. Une évaluation sur les trois premiers mois est cruciale, avec une double évaluation : pour l’équipe soignante, pour s’assurer que le patient a acquis toutes les compétences nécessaires pour sa sécurité, mais aussi pour le patient, afin qu’il s’assure de son confort et des bénéfices qu’il en tire.
Et en cas de troubles du sommeil persistants ?
Il peut, en effet, y avoir des situations où l’amélioration glycémique nocturne n’est que partielle et où la qualité du contrôle glycémique nocturne reste à améliorer. Dans ce cas, il est important de continuer à travailler avec l’équipe de diabétologie pour identifier les facteurs en jeu : la gestion du dîner, des problèmes de paramétrage, des bolus repas oubliés ou des difficultés à compter les glucides.
Parfois, malgré une bonne gestion et un paramétrage correct, certains patients continuent à faire des hypoglycémies nocturnes. Changer de dispositif peut parfois résoudre le problème. Certains systèmes permettent de personnaliser la cible glycémique avec plus de précision, ce qui peut aider à éliminer les hypoglycémies nocturnes. Si cela arrive, il est de même essentiel de se rapprocher de son équipe soignante pour évaluer la pertinence d’un changement du dispositif de boucle fermée.
Retrouvez le témoignage de Florence sur le boucle fermée et le sommeil